David Lozach, le feu de la passion

 

PluCa (Philippe) : Nous venons de passer près de deux heures au téléphone car,  je l’avoue franchement, aussi étrange que cela soit, après 15 ans à fréquenter le petit monde de la calligraphie francophone,  je ne te connais pas très bien. J’en suis désolé, je ploie un genou en terre de honte. 

Il n’en reste pas moins que j’ai découvert un artiste plein de contrastes, empli de passion pour son art,  que je me propose de faire découvrir à nos lecteurs.

 

Tu as donné un stage pour Plumes & Calames à Nantes au mois de mars 2019 (“Act like a Lady, think like a Man”), un peu au pied levé. Tu donnes beaucoup de formations ?

David Lozach : Oui, je donne pas mal de formations. Aujourd’hui, c’est ma principale source de revenus. Je sillonne les routes de France et de Belgique, je suis allé aussi en Italie.  Les formations sont un bon moyen de faire connaitre la calligraphie latine contemporaine et de garder vivants des styles de lettres en sommeil. Les stages ou les cours sont aussi des lieux d’expérimentations pédagogiques. Car, selon moi, l’apprentissage de la calligraphie est en devenir. Mais ce sont surtout de superbes moments d’échanges passionnés. 

 

PluCa : On dit souvent qu’un formateur a plus de difficultés à se consacrer du temps. Tout ça te laisse-t-il de la place pour continuer d’évoluer personnellement ? Sur quel projet travailles-tu, pour le moment ?

David Lozach : La pédagogie demande de l’implication, de l’énergie. Et aujourd’hui le niveau est tellement élevé que nous devons développer des thèmes de stages de plus en plus diversifiés et pointus. C’est très stimulant. 

Le développement de mon travail de chercheur-peintre-calligraphe est toujours en devenir, et est étroitement lié à mon enseignement.

Pour l’instant, je n’ai pas de projet défini (et j’en ai mille en tête). Cela ne m’empêche pas de travailler sur de nouveaux sujets, de nouveaux supports, de nouvelles pistes… 

 

PluCa : Comme je te l’ai dit, quand je les ai découverts grâce à l’une de nos membres, j’ai personnellement beaucoup aimé les livres auxquels tu as participé (je viens de les commander). Comment as-tu vécu ces expériences avec ces auteurs ? (« Le silence des aigles », Franck Pavloff et David Lozach ; « Yggdrasill : L’Arbre des origines », Françoise Rachmuhl et David Lozach ;  « La Tour vagabonde » Serge Prokofiev et David Lozach – éditions « Alternatives »)

Interview David Lozach, calligraphe, par Plumes et Calames, illustration YggdrasilDavid Lozach : Mon expérience en édition est mitigée. Comme un p’tit goût de pas-assez. Et les difficultés que j’ai rencontrées sont liées, d’une part  à une certaine candeur de ma part, et, d’autre part, à un dialogue parfois difficile et ambigu des éditeurs : on me demandait d’être moi-même… mais pas trop… 

Par contre, avec les auteurs, cela s’est toujours très bien passé. J’ai rencontré des personnes passionnées et sur la même longueur d’onde que moi… 

 

PluCa : Et pour le moment, tu travailles sur quoi ?

David Lozach : Je n’ai plus travaillé pour l’édition depuis 2004. Les livres que j’ai réalisés aux Editions Alternatives ont eu un succès d’estime, mais sans plus…

Produire des illustrations pour un livre de 96 pages demande au moins une année de travail, et c’est très peu rémunérateur. 

J’ai laissé filer, sans démarcher les éditeurs. Pourtant il pourrait y avoir de belles choses à faire. Mais je ne connais pas d’autrices, ni d’auteurs…   

… Bon allez, puisque vous voulez tout savoir : mon plus grand fantasme serait d’illustrer, en calligraphie, une histoire de Science-fiction !

 

PluCa : Plus généralement, je me trompe si je dis que toute ta vie est articulée autour de la calligraphie ? 

David Lozach : Cela fait 25 ans (wahou ! le coup de vieux !) que la calligraphie m’occupe et me préoccupe. 

Au départ, je voulais devenir illustrateur ou dessinateur de BD. Je suis tombé dans le dessin tout petit. J’ai appris la jubilation du trait en copiant les bandes dessinées. 

Je me souviens aussi que les images de différentes écritures, celles de mes parents (dessinateurs industriels) et de ma grand-mère, qui faisait des pleins et des déliés avec un stylo à bille, m’ont intrigué et marqué par leur beauté et leur mystère.

Surtout, mon imaginaire a été durablement imprégné par les bulles de dialogues entre extra-terrestres dans la série de bande dessinée : Valerian et Laureline, voyageurs spatiaux temporels. Jean-Claude Mézières (dessinateur de la BD), lorsqu’il fait dialoguer diverses espèces galactiques, a créé une myriade de styles, de systèmes d’écritures en rapport avec la morphologie ou le biotope de celui qui parle.

Mais la première fois que j’ai pratiqué la calligraphie, c’est en 1993, en  première année à l’EPSAA (École professionnelle d’Art et d’Architecture de la ville de Paris), dans le cours de dessin de lettre de Jean François Porchez. www.typofonderie.com .

Premier exercice : Capitale Romaine, à la cagette, sur une hauteur de 5cm… Hé ben – j’ai kiffé direct… !

Ensuite, nous avons appris les principaux styles de l’histoire calligraphique en réalisant des travaux pratiques : ouvrages reliés, mise en page façon codex ancien, compositions libres d’alphabet en couleur… le top !!

Et, en plus, cela tombait pile, au moment  où je m’immergeais dans l’univers de Tolkien et de Dune de Franck Hebert … Que du bonheur !

Le vrai tournant s’est produit lors de ma rencontre avec Laurent Pflughaupt. Il était prof de calligraphie en 3e année illustration et en 15 minutes, j’ai été ébloui… Il nous a montré ses œuvres (calligraphie + collages + dessins + peinture…). J’ai vu la lumière… C’est ça que je voulais faire ! 

A partir de là, nous avons fait les 400 coups : 

  • Calligraphies sauvages, sur 100 m de trottoirs, au jardin du  Luxembourg, au pied du Sénat, à Paris.
  • Réalisation  d’une fresque géante, sur un mur, en polychrome et or, d’une page du book of Kells pour les portes ouvertes de l’école.
  • Reprise du bureau de l’association Ductus en 1997 (jusqu’en 2007).
  • Participations aux rencontres de Lure, pendant les années 1998, 1999, 2000.
  • Festival des mots familiers, 1999, 2000, énorme manifestation calligraphique à Saint Brieuc, en Bretagne.
  • Images d’Ecritures, expo, incroyable, organisée par Laurent Pflughaupt, en 2001 à la médiathèque de Nancy, qui rassemblait une vingtaine de calligraphes, typographes, graphiste, illustrateurs.
  • Fresque pour des évènements comme « Lire en fête », une nuit entière à calligraphier dans le hall de la gare de l’est.
  • Et moult expositions et stages… 

En 1999, je rencontre Laurent Rebéna, une sensibilité calligraphique totalement différente, plus imprégnée de traits, de gestes, d’histoire et de littérature … Que du bonheur ! 

Et pendant 4 étés, il m’a invité à la rencontre baptisée : « Les doigts noirs ». Une semaine de partages, de discussions, de travail,  24/24,  dans une salle des fêtes, d’un village des monts du Beaujolais, près de Lyon. 

En 2007, j’ai eu le bonheur de devenir papa… (une autre aventure palpitante). Mes priorités ont changé. J’ai été moins disponible, tout en gardant des contacts et des échanges, avec la sphère calligraphique. 

Le bouillonnement s’est apaisé, même si la passion est restée intacte.

Pour des raisons de budget, j’ai tenté ma chance dans le milieu du cinéma. Mais la démarche est restée infructueuse. 

Même si, pendant cette période, j’ai appris à manier les outils d’animation numériques (Adobe After effect).

Et la calligraphie m’a rappelée à elle, puisqu’en 2017, j’ai remplacé Bruno Gigarel (note de l’auteur : Bruno Gigarel formé à la calligraphie latine au Scriptorium de Toulouse en 1995) au sein de l’association Calligraphis( www.calligraphis.com). 

En 2018, j’ai participé au Jury du Meilleur Ouvrier de France, en calligraphie. 

Je continue mon petit bonhomme de chemin… Avec des questions et des doutes plein ma musette.

 

PluCa : Tu m’as notamment parlé de deux groupes auxquels tu as participé (Les doigts noirs et LINKS). Tu peux nous parler un peu plus de ces initiatives ?

David Lozach : Comme je le disais plus haut : « Les doigt noirs »  étaient  des rencontres entre « gens du Trait », organisées par Laurent Rébéna et Bernard Faguet, qui ont eu lieu l’été pendant une dizaines d’années. 

Etaient rassemblés une dizaine de calligraphes, typographes, peintres :  Bruno Riboulot (calligraphe français), Marion Andrews (calligraphe et peintre belge), Piero de Macci (typographe italien), Massimo Pollello (calligraphe italien), Jean-Michel Douche (calligraphe français spécialiste de la calligraphie tibétaine), Sophie Verbeek (peintre calligraphe français), Julien Chazal (calligraphe français), Bruno Gigarel (calligraphe français),  Bernard Faguet (graveur lapidaire), votre serviteur … et notre mentor bienveillant, calligraphe fabuleux, inventeur de nombreuses  techniques au pinceau pointu, surnommé : « Le pinceau fou », Roger Wilhem, qui nous a quitté… 

Imaginez cette communauté qui vit, mange, boit, rigole la calligraphie, le trait, à chaque minutes. 

Ce sont des instants d’effervescence incroyables, débridées, inconscientes et téméraires qui me nourrissent encore chaque jour.

Le groupe Links est un groupe de calligraphes français, de l’est et de l’ouest de la France et d’Italie. Il s’est constitué autour de la personnalité de Laurent Pflughaupt en 2010. Nous avons fait des expositions, des rencontres entre calligraphes au Mans. Je vous invite à aller voir la page Facebook LINKS : Groupe de Calligraphes Contemporains.

PluCa : Et pour le reste, c’est difficile, la calligraphie, en France ?

David Lozach : Ha ! En voilà  une question qu’elle est bonne… Vous avez 2 heures ? Hmmm ?  Voyons… laissez-moi réfléchir… 

  • D’un point vu purement fiscal :  le métier de calligraphe n’existe pas… ;
  • Il n’existe plus de formation initiale diplômante (jadis il y a avait le scriptorium de Toulouse) ;
  • Les Beaux-Arts ne reconnaissent pas la calligraphie comme une pratique artistique et plastique ;
  • Les écoles d’Arts graphiques en font une matière subalterne, qui s’enseigne comme initiation à la typographie (c’est déjà pas mal!) ;
  • La calligraphie n’est pas conservée, par les archives nationales, en tant que catégories (ni de l’estampe, ni du livre) et ignorée en tant que pratique vivante en pleine essor ;
  • Le geste de l’écriture est un champ oublié de l’éducation nationale (même si, bien sûr, les professeurs des écoles s’emploient à l’enseigner du mieux qu’ils peuvent) ;
  • Le monde du livre et de la pub ne voient cette pratique que comme un moyen de faire de jolis titres ;
  • Les débouchés sont minces et peu gratifiants (mailing, mariages,…).

Donc, sans être désespérée, la situation de l’artiste calligraphe, qui n’est ni graffeur, ni tatoueur, et qui souhaite travailler comme acteur culturel, détenteur d’un savoir-faire esthétique rare, dynamique, en mutation, est… inconfortable !

Et si, par mégarde, on n’est pas un champion du commerce et du story telling, la seule passion n’est pas suffisante à faire bouillir la marmite… 

Cependant, j’ai conscience que je ne suis pas le seul à subir le séisme disruptif de nos sociétés connectées et amnésiques.

Mais le but est de s’adapter… So be it !!

Je me rend tout de même compte que ce manque d’identification et d’organisation a ceci de bénéfique que la France est une sorte de chaudron bouillonnant et chaotique d’où sortent des artistes calligraphes uniques et originaux, là où l’uniformisation guette parfois… 

 

PluCa : Allez, sans réfléchir, trois noms de calligraphes :

David Lozach :

  • Gottfried Pott
  • Lucas Materot 
  • Kitty Sabatier 

 

PluCa : C’est ton dernier mot ? Pourquoi eux ?

David Lozach :

  • Gottfried Pott, pour son travail virtuose, au tire-ligne, à une époque où on ne connaissait, que la gothique du moyen âge.
  • Lucas Materot (Maître écrivain français du 16e siècle) dont les ouvrages démontrent un sens poétique des connaissance des dynamiques du trait calligraphique sans équivalent.
  • Kitty Sabatier (une grande dame méconnue de la calligraphie latine, dont les œuvres comptent, pour moi, comme les plus sensibles, les plus poétiques et les plus inspirées de la calligraphie française).

Mais 3 c’est peu. Il y en a tellement d’autres qui ont comptés…

Roger Wilhelm, dont le travail flamboyant et tellement novateur, mériterait une rétrospective.

Je pense aussi à l’école de calligraphie expressionniste allemande : 

Gottfried Pott, Friedrich Poppl, Werner Schneider, Heins Schumann, qui m’ont fortement inspiré dans le travail au tire ligne et le geste virtuose.

Martin Andersh, pour son livre «Traces, Signes, Lettres » Ulisse éditions, 1989, qui m’a ouvert les portes d’une nouvelle façon d’enseigner la calligraphie.

Brody Neuenschwander, bien sûr, pour sa démarche, la maitrise de l’expression, comme explorateur du rapport entre le fond et la forme. Mais aussi parce qu’il a réussi à se faire connaitre, en tant que calligraphe, dans le monde de l’art contemporain.

 

PluCa : Et trois noms de calligraphes que tu n’as jamais rencontrés, mais avec qui tu aimerais échanger…

David Lozach :

  • Brody Neuenschwander
  • Werner Schneider
  • Monica Dengo

Oui, cela serait super, cependant… Les calligraphes ont tendance à rester entre eux…

Ce serait bien de rencontrer des personnes d’autres domaines : photographes, musiciens, danseuses ou danseurs, codeurs pour échanger, créer des projets multiples, ouvrir les horizons de nos pratiques, sortir des sentiers battus. 

 

PluCa : Voilà, appel lancé ! Sincèrement, merci de cette participation, David. Tu as demandé quelque chose à l’équipe de Plumes et Calames en off lors de notre entretien. Je ne te poserai donc pas ma question traditionnelle, mais, quand même, pour terminer : un dernier mot pour nos membres ?

David Lozach : Plusieurs :  

Déjà, merci de m’avoir lu jusque-là, et j’ajouterai :

Nulla dies sine linea (pas un jour sans une ligne).

Longue vie et prospérité (devise Vulcane, Startrek).

 

 

Pour (re)découvrir l’univers de David:

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